(souvenir du temps d'Avant)
Sept heures cinq, pas rasé, mal habillé, douché à la va-vite, il va être en retard. C'est si rare... Panne de réveil. Mais il a pris soin de prévenir son lieu de travail, dès son lever, quand il a vu l'heure enfuie. Consciencieux, même dans son état comateux.
Il n'a rien fait la nuit dernière qui puisse expliquer son non-matin. Et nul besoin, d'ailleurs, de se chercher des raisons, des excuses, des faux-fuyants. Il sera en retard, c'est dit, inutile d'en rajouter, de se dépêcher ou de cavaler pour prendre la route, surtout que la rocade à cette heure-ci est congestionnée. Il serait stupide de risquer d'avoir un "banal accident", comme disent les journaux, juste pour pouvoir gagner une minute, alors qu'il ne sera pas à l'heure quoi qu'il arrive.. Il n'est plus à une minute près, et ses collègues le comprendront... ils le connaissent, il est honnête dans son travail, et ne louperait jamais un service, même si, à l'instar de tous, il y vient à reculons !
Pourtant, il recule, ce matin. Tout près de la porte, alors qu'il allait y insérer la clé pour la refermer derrière lui, il tourne la tête. Inquiet et dubitatif. Elle le regarde. Allongée sur le lit, comme presque toute la nuit. Presque toutes les nuits. Elle semble perdue entre les méandres de leurs draps communs. Il ne saurait dire ce qu'expriment ses yeux. De la tristesse, sans doute. De l'angoisse, peut-être.
Et du dépit, certainement. ...
Il ne peut soutenir ce regard. Il pose son sac, marche vers le lit comme s'il devait franchir une frontière inaccessible, s'asseoit tout près d'elle... et ne sait pas quoi dire... !! Comprendrait-elle d'ailleurs ? Il lui semble qu'il y a longtemps qu'elle s'est résignée à ne plus tenter de le comprendre. Alors il se penche, lui frôle le dos de ses doigts incertains, nerveux. Il lui caresse la joue (d'où aucune larme n'a jamais coulé, il s'est toujours demandé comment elle arrivait à ne pas pleurer, jamais), la voit esquisser ce qui peut s'apparenter à un sourire. Lui dire qu'il l'aime aurait-il encore un sens ? Elle le sait de toutes façons, combien de fois se l'était-elle entendue dire ? Une fois de plus, une fois de trop, quelle importance ?
Il se prend la tête à deux mains, car il sait qu'aujourd'hui encore, elle ne décrochera pas un mot. Il a toujours parlé pour eux deux : la communication n'a jamais été son fort. Mais il ne lui tient jamais rigueur de son mutisme forcené ; il savait à quoi s'attendre le jour où il l'avait rencontrée, chez un de ses amis, quelques années auparavant..
Que le temps a passé vite... Le temps ! Avait-il failli l'oublier, l'horloge de la chambre se charge de le lui rappeler : au bureau, ils vont commencer à sérieusement s'inquiéter !
Sept heures vingt-huit, il l'embrasse à peine, plutôt l'effleure de ses lèvres, puis se lève et reprend son sac. Juste avant de fermer la porte définitivement, il se retourne une dernière fois. Toujours cette tristesse innée dans les diamants de ses yeux. Et toujours ce silence si parlant.. Pourrait-il en être autrement ? La parole, la conversation, ne sont jamais aussi simples qu'on le prétend.
Et, si réellement il veut pouvoir correspondre avec elle, il faudrait qu'il apprenne à miauler.
Allez, bonne journée, le chat !