Sonnerie. Le téléphone... Sûrement un mauvais numéro. Encore. Mais, ne pas répondre, surtout ne pas répondre.
Sonnerie. L'interphone... Personne ne s'est annoncé. Donc personne d'attendu. Donc, inutile de répondre. Férocement ne pas répondre.
Sonnerie. La porte d'entrée... Impossible que ce soit ici. Sans doute pas. Encore un de ces garnements qui s'amusent à sonner chez les gens. Pour le plaisir. Plaisir idiot. Idiote enfance. Mais... c'est l'enfance. Alors, passer l'éponge. Pour passer l'enfance. Une éponge sur le tableau noir de leurs erreurs futures et passées... Alors, passons. Une fois de plus. Mais surtout, surtout, ne pas répondre. Absolument ne pas répondre.
Sonnerie. La sirène d'alarme, sur le lieu de travail. Hebdomadaire. Mensuelle. Semestrielle. Annuelle. Séculaire à force de revenir périodiquement hanter les antennes des hommes. Ce ne sont que des alarmes dans des yeux trop fiévreux... Des essais, des tests, des vérifications, comme s'il en pleuvait. Par-dessus la tête. Mais il faut bien que quelqu'un s'y colle. Et autant que ce soit quelqu'un d'autre. Pour une fois. Et, quoi qu'il en coûte, ne pas répondre. Péremptoirement ne pas répondre. Ne plus répondre de rien.
Sonnerie. Insistante. Intense. Interminable. Un coup d'oeil sur le calendrier. Pas de malaise. Nous sommes bien le premier mercredi du mois. Il est midi. Et, comme tous les premiers mercredis de chaque mois à midi, c'est la sirène d'évacuation des pompiers de la ville. Un test. Encore. Apparemment tout fonctionne. Mais, au diable ! Ne pas répondre. Intempestivement ne rien répondre. N'avoir pour seule réponse que le questionnement du silence. Viscéralement, chut....
Sonnerie. Impossible de savoir d'où elle provient. Que diable est-elle là. Ici ! On n'aurait jamais cru la retrouver là... Poursuivi ! Jusque dans sa conscience. Elle vient le hanter jusqu'ici. S'immisce même dans ses rêves. Mais, foi d'homme sonné par le combat qu'il mène avec personne, il ne répondra pas. Pas de question. Pas de réponse. Juste un cadran, une aiguille et une horloge. Un "quadrant" sur le sein gauche, comme un dernier hommage rendu à sa grand-mère. Aucune réponse. Pas d'ici pour le moins. Il n'a pas plus de répondant que son répondeur.
Sonnerie. Trompettes et hautbois, plutôt. Les anges l'ensevelissent, embaument son corps. Et lui, il se replonge dans son assiette quotidienne. Le Menu, on s'en fiche. Tout le monde le connaît. Il lève les yeux. La voit s'envoler. Il essuie une larme qui s'est trompée de destinataire. La suit du regard cependant qu'elle grimpe les limbes du silence. La fin l'a emportée. Elle sera bien mieux là où ils l'emmènent. Ce nulle-part où ils la déposent. Ni sonneries, ni sirènes, ni souffrances inutiles. Il se prépare à son départ. Qu'aucune sonnerie ne viendra annoncer. Si ce n'est celle de son coeur. Il grelotte. Il neigerait soudain. Qui va bien pouvoir passer l'hiver au chaud ? Qui va passer cet hiver.... ? Qui - tout simplement, "QUI" - passera l'hiver, et sera encore là au printemps, à l'heure où sonnent les champs fleuris au son des cloches primesautières ? "Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent....." Il viendra sur sa tombe, apposer une gerbe, à l'insu des palombes, dont l'envol est sans Verbe. Mais 'qui' pour passer l'arme à gauche, et repasser ses larmes adroites ? Il sait déjà qu'il sera le prochain sur la liste. Que lui importe : ostensiblement, ne jamais répondre. A aucun appel, du pied, du devoir ou de la nuit.
Sonnerie.... Une de plus. La dernière, espérant. Lueur ultime. Clameur barbare. Hystérique. Presque curative. La dernière.... Son coeur lâche. Si lâche est ce coeur. Il lui faut partir. Il doit partir. Il fait froid. Il a froid. Que c'est bon de crever en silence. Mais, peut-être... revoir sa mère, juste avant ? Possible ? Pensable ? Souhaitable ! Las... Hors de question, mon fils. Tu dois partir, ordre de l'amer supérieur. Ta grand-mère déjà est à l'ombre. A ton tour à présent. Tu n'as que trop souffert de m'avoir fait souffrir. Va, fils de fange. Ne meurs pas trop fort, contente-toi de crever. En douceur. Je te pleurerai dans un panier d'oignons. Farcis. Comme mes yeux au présent du conditionnel. Ne meurs pas trop fort. Crève, simplement. Je t'aime. Et sûrement plus encore tout-à-l'heure. Lorsque tu seras en charpie dans les couloirs de l'angoisse. Mais meurs, veux-tu ? Je suis ta mère, telle est ma nature, et ta Mère-Nature t'ordonnne de clamser sur-le-champ au champ des soupirs inassouvis et au chant du signe de la croix que je t'ai portée. Mauvaise chair de ma bonne chère, agonise à l'envi, il te faut crever, devenir putride dans la seconde. Va, fils de la mer sans vagues à l'âme, va et ne te retourne pas : je te porte tellement d'amour idiot et excrémentiel que je ne serai pas là pour contempler ta décrépitude. Pars. Tombe. Liquide. Vole. Surplombe. Tangue. .... Fais comme bon te semble, pourvu que tu crèves. Avec tout mon amour. Je t'avais bien dit que je ne te laisserais jamais sans réponse !
Drriingggggg ....Euh... quel est donc ce rêve aride ?
Zut, ce foutu réveil !
j'veux pas y aller....